Reportage de terrain de Cyrille Cléran, cet ouvrage de littérature-réalité raconte par le menu l'histoire d'une rue depuis l'époque gallo-romaine jusqu'à nos jours. Et c'est beaucoup plus palpitant qu'on ne pourrait le penser de prime abord ! Émaillé d'interviews, de cartes commentées par un historien, de photographies exhumées d'archives rarement explorées, Straed Naonediz réjouira tous ceux qui de près ou de loin s'intéressent à l'urbanisme ou à leur voisinage immédiat (pour tous ceux qui auraient la chance d'être installés près de la rue Nantaise).
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Documentaire réalisé en partenariat avec des acteurs de la vie locale, notamment des restaurateurs, Straed Naonediz - Histoires de la rue Nantaise a la volonté d’allier les trouvailles historiques avec les petits événements de la vie d’aujourd’hui. Les abords immédiats de la rue Nantaise sont en effet riches de grandes épopées : les murailles qui jouxtent la porte Mordelaise ont vu passer tant de rois, de duchesses, de comtes et de connétables qu’à l’évocation de tous ces faits d’armes, de tout ce faste et de toutes ces misères, le simple passant pourra être saisi de vertige… Mais on aura surtout plaisir à découvrir aussi ô combien dense est la « jungle » urbaine, pleine de mystères et de passions, qui se déploie dans le bas de la place des Lices. Tantôt charmants, tantôt âpres, les habitants de la rue Nantaise, sous des abords joviaux, sont souvent des gens pressés. Parfois, il est néanmoins possible de stopper leur course pour recueillir leur sentiment, partager leurs élans. Bref, Straed Naonediz met en lumière l’indéniable réalité : les Rennais dans ce coin-ci n’ont pas de temps à perdre. Car ils ont des affaires à faire tourner, des clients à satisfaire, et des rêves et des familles à nourrir
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En vente à l'Office du Tourisme de Rennes Métropole 11 rue Saint-Yves.
150 pages, 17 × 23 cm
ISBN : 978-2-9529200-7-0
14,99 euros TTC
EXTRAIT : « Façades et pignons »
Derrière chaque porte, dans chaque immeuble, on trouve ainsi une activité, une passion, des petits métiers, des grandes vocations, des destins. Les façades racontent une première histoire. Si l’on franchit les seuils, si l’on s’attarde, si l’on prête attention aux occupations des occupants des lieux, on découvre de nouveau des pans entiers de vie. Magie des rues. Charme des faubourgs. Épaisseur insoupçonnée d’un voisinage auquel d’ordinaire on ne prête guère d’importance, non pas qu’il n’en vaille pas la peine, mais chacun s’occupe de ses oignons. Pourquoi s’attarderait-on de toute façon ?
Pour certains numéros de la rue Nantaise, la première des raisons est tout simplement d’ordre alimentaire. Acheter une baguette de pain ou une bouteille de meursault oblige à franchir les seuils des magasins et à un minimum d’échange de politesses. Cette convivialité rudimentaire est la principale sophistication des quartiers commerçants du centre-ville. Nécessité faisant loi, nul en ville ne peut vivre en autarcie. Être citadin implique d’être bien urbain si l’on ne veut pas connaître l’ire de ses fournisseurs en denrées de première nécessité. Les petits commerces sont les premières choses que le nouvel arrivant découvrira, avec plus ou moins de délectation.
Avoir pignon sur rue dans une rue traditionnellement commerçante d’un centre-ville où justement le commerce se taille la part du lion nécessite quelques vertus dont l’humour et le sens de l’échange ne peuvent être les moindres. Le passant qui arpente Rennes verra d’abord, s’il lève le bout de son nez, des façades et beaucoup de vitrines. Pour tous, les premières portes à s’ouvrir sont celles des commerces. Qui draine badauds et livreurs ? À quels indices décèle-t-on la vitalité d’un quartier ou d’un bourg ? Les animations se centrent prioritairement autour des magasins. Sans secret, au vu et au su de tous, ils occasionnent une ronde des fournisseurs et une circulation permanente de consommateurs. Ancrés dans le quotidien, au point de s’inscrire presque fatalement dans la banalité, les commerces sont des entités auxquelles on ne prête plus attention. On peut avoir d’autres chats à fouetter. Rarement spectaculaires, toujours là, à la même adresse, ils déploient pourtant des trésors d’ingéniosité et de ténacité. Vouant leur existence à leurs activités, les commerçants représentent une population laborieuse et sans gloire autre que celle d’ouvrir jour après jour. Se lever pour aller bosser, et peut-être faire fortune, est le mérite de la communauté commerçante. En dépit des douleurs existentielles, des éventuels soucis familiaux ou des tracas financiers, ils exercent leur sacerdoce.
Joies et peines confondues, chaque vitrine représente ainsi des années — parfois des générations ! — d’efforts. Alors forcément, elles attirent l’œil ; elles forment le décor. Elles créent des points de ralliements, des repères ; à notre insu, elles s’inscrivent dans notre géographie mentale. Clinquantes ou sobres, attisant la gourmandise ou la convoitise, les vitrines stimulent l’imagination des promeneurs. Elles rassurent : rien n’oblige à en franchir le seuil aujourd’hui puisqu’on sait pertinemment que demain, elles seront encore là, fidèles à leur emplacement et à leurs horaires pensés avec soin.
Affichant des prix qui ne sont pas dans nos moyens ou des produits à mille lieues de correspondre à nos besoins, elles peuvent aussi agacer. En exposant son bien, le commerçant s’expose à la colère du consommateur frustré de n’y pouvoir accéder. Ouvrir son commerce est un engagement fort aux enjeux multiples, et qui n’est pas sans inconvénient. Mais il faut croire que ce sont les avantages qui sont les plus nombreux, avec, en premier lieu, le plaisir de s’inscrire dans une dynamique d’échanges de bons procédés. En définitive, les vitrines s’établissent comme des promesses de mondes possibles — univers à découvrir consciencieusement, un jour prochain, au hasard d’une envie. Aime tes jours prochains, les commerçants te le rendront bien.
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Chronique parue sur le blog « lavierennaise » :
Ça y est, c’est officiel ! Le blog « lavierennaise » collabore avec les éditions de la rue nantaise, rennaises bien évidemment, pour écrire des critiques littéraires sur leurs livres. Ma première chronique n’est pas anodine. Le livre Straed Naonediz traite de la rue Nantaise, rue où j’habite depuis juillet dernier. Et c’est une façon pour moi et pour vous lecteurs de découvrir d’une autre façon la ville de Rennes, par le biais de la littérature. Ce blog a pour vocation, ou du moins essaye, de vous faire découvrir cette ville sous d’autres angles et de vous faire vous y intéresser.
Écrit en 2008 par Cyrille Cléran, écrivain licencié de philosophie et passionné d’histoire(s) et de littérature, le livre Straed Naonediz – Histoires de la rue Nantaise, est toujours d’actualité. Le titre révèle déjà le principal fil conducteur du bouquin (un peu d’argot, vous me permettez ?), la rue Nantaise décrite du Moyen-Âge jusqu’à de nos jours. Straed Naonediz, le titre, signifie « rue Nantaise » en breton. Cette identité bretonne, on la retrouve à la fin du bouquin lorsque Cyrille rencontre l’Ofis (Service de l’Office de la Langue Bretonne) au n° 10 de la rue.
Ce « reportage historico-journalistique » écrit-il dans le livre, est un travail de plusieurs années où l’écrivain s’est documenté et a rencontré six enseignes de la rue. Cela va de restaurants très connus comme L’Atelier des Gourmets et la cave de Frank Pinard aux magasins plus discrets comme le cabinet d’une podologue ou la friperie Toto Tissus.
Les vingt premières pages du livre sont consacrées à un historique complet et détaillé de l’Histoire de Rennes en elle-même. De Condate à Roazhon, de la réunification de la Bretagne en 1532 au grand incendie de 1720, Cyrille Cléran vulgarise très bien l’Histoire de sa ville. Mais peut-être se perd-il un peu trop, peut-être aurait-il fallu aller droit au but pour permettre au lecteur de ne pas s’emmêler les pinceaux et de se dire « Je lis bien un livre sur la rue Nantaise, là ? ». On ne lui en veut pas trop quand même, il le dit lui-même, page 21, « (…) si toutes ces énumérations chronologiques se montrent à la longue fastidieuse, elles sont néanmoins indispensables pour capter ce fait : Rennes alias Condate alias Roazhon ne s’est pas faite en un jour ! La ville est « habitée » par tous ces moments du passé. »
Soit. Alors, c’est parti pour l’Histoire de la rue Nantaise et un peu plus haut. La porte Mordelaise et la place des Lices sont aussi comprises. Avec ce côté très historique qui peut paraître ennuyant pour certains, le livre est ponctué de six rencontres et donc de six « chapitres », si on peut appeler cela comme ça, différents. Cela rythme la lecture et donne envie d’en savoir plus à chaque page. Ces rencontres sont des interviews intelligemment préparées par Cyrille Cléran avec humour et finesse. Il maîtrise parfaitement la langue française et en joue avec des jeux de mots qui font sourire. Par exemple, il pose la question « Peut-on parler dans votre secteur d’une concurrence d’arrache-pied ? » à la podologue Valérie Léon-Cochard et formule des questions à quatre réponses, façon code de conduite, lorsqu’il interviewe Madame Relou, gérante de l’auto-école Relou. Dans les chapitres suivants les différentes rencontres, Cyrille Cléran détaille l’historique de chaque ainsi que les problèmes auxquels les magasins de proximité de cette rue sont confrontés. En somme, des histoires dans l’Histoire (de la rue Nantaise).
Les cent trente-deux pages de ce livre, imprimé en grand format, se lisent très rapidement, voire trop rapidement. L’avantage d’un livre comme celui-ci, c’est qu’on peut lire une interview un jour, l’Histoire de Rennes, un autre. Le livre n’oblige pas à une lecture linéaire et peut être feuilleté et refeuilleté encore et encore pour chercher des informations et les annoter sur une feuille de papier.
En une centaine de pages, on y découvre les métiers de la sommellerie, un peu d’œnologie avec Frank Pinard, la passion du restaurateur André Loyer de L’Atelier des Gourmets ou encore la confection de tissus chez Nath & co. Petit briefing historique et économique lorsque l’écrivain parle de la situation précaire de magasins comme Toto tissus.
Entretiens intéressants et en tant que « journalistoécrivain », Cyrille Cléran a, lui, tout compris au métier de reporter d’investigation. Documentation fouillée, prendre le temps d’écouter les personnes auxquelles il s’adresse et faire des exposés clairs, détaillés et objectifs. Enfin objectifs, pas tant que ça, car il le dit lors de la conclusion de son livre, s’il a voulu faire ce reportage, c’est parce qu’il a habité dans cette rue. Relation à l’affectif qui se ressent page après page, Cyrille adore cette rue et a envie de nous transmettre cette curiosité de savoir, de s’intéresser aux autres.
En tout cas, le livre Straed Naonediz est une belle expérience humaine, à laquelle on pourrait reprocher trop de détails et de longueurs au début. Autre regret, le seul endroit qui manque : le Café Breton. Restaurant inconditionnel de la rue Nantaise. Et comme le dit Frank Pinard (c’est désormais son associé qui a pris la relève), la rue Nantaise devrait se faire appeler « la rue du Café Breton ».
Cette volonté de s’intéresser à ses commerces de quartier, à sa rue et ainsi renouer du lien avec les habitants, refait surface de nos jours, à Rennes. Ce livre m’a fait de suite penser à l’exposition de photographies « La Quinzaine Saint-Hélier » qu’a fait Vincent Ogloblinsky, photographe pour la société Regards, sur la rue Saint-Hélier, en décembre dernier. Sa démarche a été la même que pour Cyrille Cléran, rendre hommage à une rue qu’il a habité auparavant et en montrer son côté humain en photographiant le boulanger, les coiffeurs de ce quartier. En parlant de cela, le livre Straed Naonediz est agrémenté de photographies d’archives de la Ville de Rennes et de cartes commentées par l’historien Pierre Judic.
Ce livre-reportage n’est pas figé, bien entendu. Cette rue continuera de changer tout en gardant « un côté populaire et métissé » (page 132). Peut-être qu’un jour, dans cinq ou dix ans voire plus, quelqu’un prendra la relève et continuera d’écrire l’histoire de la rue Nantaise. Qui sait ?
Manon Deniau
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