À travers les treize volets de L'Électron libre, Charles Lescuyer alias Simon Pass essaye de nous emmener en voyage dans un anti-récit à l'aveugle où la langue a besoin de la plume pour délier l'intrigue d'une époque incontinente. Photographies pour les sourds muets, qui se glissent entre des lignes décodant l'anarchie colossale de notre « société », alors passant avec ironie sur les vestiges de la civilisation, S. Pass emprunte à contre-courant des fleuves littéraires, pour nous faire découvrir que parfois les cantonniers municipaux ou autres littérateurs ferment des accès, délaissent les chemins creux, et par leur flemme ignorante, ouvrent la possibilité aux audacieux, aux promeneurs égarés, de découvrir de nouvelles terres vierges. Ainsi Pass ouvre la voie dans la forêt de Quénéquan, comme il l'avait fait en Amazonie, afin de voir la nature ré-envahir les ruines du château des Salles ou les tours d'Elven... Dans ce récit qui affleure entre les images d'un autre siècle, et celles d'une Bretagne qui voit son identité se figer progressivement comme des fresques gothiques (pour ne pas dire pré-historiques), il donne à entendre et à voir, comme le braille du relief mouvant de nos côtes, par temps calme ou tempétueux...
Préfacé par Cyrille Cléran
Crédits photos : Youenn Duhamel, Charles Lescuyer, Mickaël Blanchet
ISBN : 978-2-9532609-0-8 - Janvier 2009
132 pages - 15 euros
17 × 23 cm
EXTRAITS
1er volet
« Du grabuge dans le vocable »
En fin de compte, s'il s'agit de résumer l'affaire, de ma fenêtre y'a le pays et je n'vois que le déluge... disons brièvement les cendres, les décombres, les ruines, la guigne, le ou les désordres, les flopées de scandales, de divorces, de séparations, de jugements en tribunaux correctionnels, et surtout des scènes... oui, des scènes de crime, de lèse-majesté, de ménage, et toute la brigade des mœurs !
Alors là n'est pas la question, ni une tentative de rattrapage, pas d'aveux et comme je l'ai dit, je le réécris de prison, pas de convulsion, rien que la fixité d'un regard pensif ou perdu dans les limbes d'orgies de café.
Je suis un électron libre, c’est-à-dire parfaitement éperdu, définitivement détaché du noyau central, de ce qui fait corps avec le monde social, la famille et les relations ; j’évolue seul, libre de toute attache et cela sans m’apparenter à rien hormis de rares compromissions...
... Les accointances si vous voulez, les rencontres, nous aurons tout le temps d’y revenir !
Et si l'ordre arrivait en retard...? Je pense pouvoir dire que ce fut le cas récemment dans cette triste, sinistre et lâche actualité : « My baby shoot me down ».
Je n'aime pas la violence mais je ne fais pas de mon pacifisme une arme, j'observe se détériorer les pauvres lois humaines de ce petit monde où nous sommes tous pris en otages. J'écris et je le ferai toujours en réaction à la norme puisque cette réalité est destituée : norme branque, normes bancales, règles d'un pouvoir usurpé.
J'aimerais vivre, évoluer dans un monde de paix et d'harmonie, peut-être quelque part au confluent des différentes civilisations... mais sans schismes, plutôt une interdépendance calme. Évidemment il ne s'agit là que du rêve d'un électron libre. Il y a bien longtemps que j'ai brisé les chaînes, et puis Simon, le moule est cassé...
Sûr, vécu trop longtemps libre et je poursuis sans contraintes dans des rapports très distants d'avec ce monde.
Oui, il s'agit bien de cette époque de cuirs, de peaux et de ma bécane. Ce n'était pas tant la vitesse que je recherchais, mais j'étais bien féroce dans ma débauche, et ce qui me grisait était encore la rapidité de succession des expériences. Il fallait à tout prix qu'à chaque instant je puisse goûter quelque chose de nouveau... et cela m'a mis en danger de péril bien des fois !
Les nuits surtout étaient pleines de ce danger qui fait de la jeunesse le plus lumineux des remparts. Alors bien évidement, cela attirait à moi les demoiselles et les compagnons de la grappe pour des orgies, des parties fines et des libations avec début de délirium tremens. Alors que ne puis-je dire pour ma défense ? Il avait fallu que je fasse ma jeunesse et mon apprentissage du monde, incartades et bourlingues, le tout drapé dans le magnifique de l'innocence...
Maintenant que j'en suis bel et bien revenu sauf, hormis des cicatrices visibles et invisibles, je me dois d'avouer qu'être « électron libre » ressemble davantage à une farce odieuse que m'aurait jouée la nature, à la même blague que cette maladie inoculée dans la jungle amazonienne, mais j'en ai retiré tant...
À ceux qui croient avec véhémence que l'expérience enrichit, je dis que je suis ce contre-exemple d'un homme appauvri par la multitude d'évènements rencontrés, affaibli par le nombre des dangers surmontés : tempêtes, fièvres, maladies, perditions et famines au firmament de mes vingt-cinq années de déraison... à ceux-là je laisse la fleur de mon désespoir, maintenant que je suis en retraite et que je ne prête plus qu'une attention réellement minime à ce monde, à l'insignifiance de son chaos. Mon propre chaos ne vaut guère mieux mais c'est le mien, je l'oriente, le soudoie, et je lui donne les secousses dont il éructe, pour mieux faire corps avec cette actualité dégueulasse ! Après cela, vous l'aurez pigé, le plaisir est dans des moments rares, je ne m'y risque que dans l'outrance la plus absolue. Non, vraiment non, je ne tiens pas à en faire de description(s), hein, allez, vous n'êtes pas des mateurs mondains ni des amateurs de voyeurisme !
Désormais que j'ai appris à me protéger en promenant mon désespoir amusé de ce monde ivre, sur la berge d'en face, n'allez pas croire que je puisse encore revenir en arrière et aller m'incendier au feu de ces vapes : je sais que j'ai été trop loin !
Je ne puis revenir par chez vous, mes yeux cachent cette frayeur et ce trouble qui tant de fois m'ont fait douter de la nourriture de l'âme, d'ailleurs croyais-je en l'âme ?
Vous n'êtes plus très sûrs...
Ce que je vous présente n'est ni un portrait, ni une autobiographie, car en définitive je serais bien ennuyé d'avoir à dire quelque chose de ma vie, à cela je préfère le baiser de la lune ou la gorgée de solitude apaisante d'une flânerie de bord de mer...
D'ici l'amusement et surtout le droit de récuser tout ce que j'ai couché par écrit jusqu'à ce jour. Alors permettez que je reprenne une esquisse de définition, vous allez voir qu'elle n'est point superflue. L'élément le plus libre traverse de façon libre et surtout aléatoire les époques, les lieux, les petits milieux, les immenses espaces naturels, réserves et déserts, les strates des, de la société sans scrupules sans entraves sérieuses. Et s'il s'agissait là du génie propre et instinctif de l'électron dans le tourbillon atomique bleu et parfumé, dignement tendre ?
Lorsque je discréditerai cette pauvre castagne du vocabulaire, j'aurai montré que la pléthore de néologismes ne vaut rien, strictement rien !
Cependant j'ai un doute, quand cet homme m'a qualifié ainsi, alors que je n'étais qu'un pauvre passant accoudé au bar pour y prendre un café, certes j'avais été mis à mal par une journée de tests, pour tout dire un examen neuro-psychologique approfondi, je ne l'avais pas vraiment senti venir, mais néanmoins comme je n'avais rien à perdre, j'acceptai l'échange.
Il ne s'est pas réellement agi de parler de mon accident ni des séquelles, mais du fond de ma personnalité, non que j'aie quoi que ce soit de trouble, un esprit à peine distendu, décontracté, et il me prit entre quatre yeux pour me dire : « Tu as l'air de quelqu'un de sincèrement seul, comme si tu étais sans famille, as-tu quelqu'un dans ta vie ?
- Monsieur, vous me faites plaisir par votre remarque mais ce n'est là qu'une remarque un peu hasardeuse, je dirais plutôt que j'ai grandi seul certes, mais cependant j'ai un amour dans ma vie, du moins actuellement...
- Toi tu t'apparentes à un électron libre, car tu sembles si détaché, rien ne t'attache...
- Oui effectivement c'est bien le sentiment que j'ai, en réalité il s'agit bien là de ma définition, je ne me raccroche qu'à moi-même... »
Fin de la conversation !
Enfin, je n'allais pas me pluraliser devant cet animateur socio-culturel, il avait vu juste mais étendre tout cela en épilogue aurait tourné en épitaphe sur ma vie, néanmoins je lui dois beaucoup pour avoir lâché ce mot.
En vérité pour un électron libre, il n'y a ni croyance, ni cause juste, il y a juste la barbarie à tous les étages et cette barbarie démarre dans le langage : la permissivité qui tient fait et cause pour les écrivants et les artistes du narcissique, des trombes !
Oui ! Je tiens à l'écrire : ce que ces pseudo-artistes fomentent, c'est l'amorce vers un non-sens, vers l'avanie et la rupture de tout effet de causalité, or les mots sont des actes, ainsi que les images, les formes, qu'elles soient paragraphes, clichés et mises en lumière dans tous les domaines artistiques et jusqu'aux mathématiques car les langages doués dans leurs formes propres donnent l'idée d'une vivacité qui se particularise à chaque instant.
Si on me demande de faire la distinction entre les artistes, est-ce à dire les créateurs et les intellectuels ou manipulateurs de concepts, ceux-là qui conçoivent en silence de la pensée et solitude de l'invention, les outils de notre langage... les morceaux épars de notre culture, éléments qui se dispersent dans l'immensité des langages... qui s'y perdent, s'y abîment dans l'océan des chimères.
Nulle envie d'y pendre là un pamphlet ! Mais je l'admets : je n'ai qu'une crédibilité très réduite... en tant qu'élément détaché du système. Comme électron libre.