
La face cachée du soleil est le dix-septième ouvrage à paraître aux Éditions de la rue nantaise. C'est un recueil de 14 nouvelles de François Aussanaire.
Ses textes sont écrits de façon caustique. Les personnages semblent tous être de parfaits idiots, jouets d'un destin moqueur, dans des vies incolores, saisis par la malchance dans des existences ordinaires. Hasard qui vient tout chambouler. Mauvais concours de circonstances qui font tout chavirer. Avec Aussanaire, les issues sont de préférence fatales. Mort accidentelle, mort naturelle, mort absurde, mort qu'on n'a pas vue venir ou qu'on a bien cherchée... Tout le monde meurt à la fin, sauf quelques rares miraculés (qui n'en sortiront pas indemnes).
Avec ce recueil, François Aussanaire a l'odieux génie d'inventer une mécanique qui fait basculer la routine dans un drame de préférence grotesque.
ISBN : 978-2-9532609-6-0
180 pages - 14,5 x 10,5 cm - 14 € - Couverture illustrée par Srï - Imprimé en Bretagne © avril 2010
Sommaire
« Chaud dedans ! »
« L’allumeur de soleil »
« Le Japonais »
« Two steps more »
« Putain de rat ! »
« Maison-mère »
« Au fond du trou »
« On l’appellera Jean-Claude »
« Vocation précoce »
« Le cadeau des Blancs »
« Les meilleurs amis du monde »
« Promenons-nous dans les bois »
« Mamie est morte »
« La Mère Potion »
EXTRAIT : « Chaud dedans ! »
Ça fait maintenant plus de trois heures que ça chauffe. Ça devrait être bon.
Cinquante degrés, c’est parfait. Dix à quinze minutes de bonheur absolu avant les premiers picotements. C’est un signe, ça, les picotements dans les jambes. Signe qu’il est temps de sortir. Une douche froide, le peignoir et la chaise longue sous la véranda ou sur la terrasse, selon le temps.
Le bonheur, je vous dis.
Une pure merveille ce sauna. Au bout de la terrasse, entre les lauriers-roses et les eucalyptus. Vue sur la mer, vingt mètres en dessous. Avec un hublot en plus ; comme ça la vue sur la mer on l’a même de l’intérieur du sauna.
Je l’aurai attendu, mon foutu sauna, mais ça valait le coup. Pour moi toute seule, en plus. Il n’y vient jamais. Il aura quand même fini par le lâcher. Va savoir pourquoi. Pas pour me faire plaisir, sûrement pas. Ni pour mon charme, ou ce qu’il en reste. Ça se saurait. Ni même dans l’espoir de me voir perdre ma bonne dizaine de kilos en trop. Il s’en fout. Non, c’est juste un leurre, un paravent. De la bonne conscience à pas cher. Enfin, pas cher, tout est relatif. C’est juste pour me faire fermer les yeux sur ses petites aventures ; ces minettes qu’il emmène dans des hôtels sordides, quand il est sur le continent.
S’il savait comme je m’en fous, sans elles, je ne l’aurais pas eu mon sauna. Tiens, pour un peu, je leur en serais reconnaissante.
Allez, une louche d’eau sur les pierres pour réhumidifier le tout, et dans cinq minutes, je sors.
Ce qu’il manque, à la sortie du sauna, c’est le jacuzzi. Ce serait quand même plus pratique. La plage, c’est bien, mais il faut remettre le maillot, le peignoir et descendre le sentier jusqu’à la plage. Et encore, ça n’est possible que l’été. Alors qu’un jacuzzi creusé dans la terrasse, à côté du sauna, ce serait l’idéal.
Il suffit d’attendre. Quatre ou cinq minettes de plus et sa mauvaise conscience devrait lui permettre d’envisager la construction rapide du jacuzzi.
Ça y est. Il va être temps de sortir ; les premiers picotements sont là. Dans la jambe gauche, comme d’habitude. C’est un vrai thermomètre ma jambe gauche ; un régulateur de température interne. C’est pas la jambe droite, pas les bras, pas les seins, pas n’importe quelle autre partie du corps. Non, c’est toujours la jambe gauche. Allez savoir pourquoi !
Allez hop, à la douche ! C’est l’heure.
Allons bon, voilà autre chose ! La porte est coincée. Me voilà bien, maintenant. Comment est-ce que je fais pour sortir ? On ne m’entendra jamais, là-dedans ; c’est sur-isolé un sauna. Mais non, elle n’est pas coincée cette porte, elle est bloquée ! Un madrier bloque la poignée. Pas moyen de l’abaisser. Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? Si c’est une plaisanterie, elle est plus que de mauvais goût.
Et lui, là, au milieu de la terrasse, qu’est-ce qu’il fout là à me regarder au lieu de m’aider.
Le salaud ! J’ai compris. Il a décidé de me laisser cuire là-dedans.
Au secours ! À l’aide ! Sors-moi de là. Connard !…
Ça y est, il est parti ce fumier. Assassin ! À l’aide ! Au secours !
Ça ne sert à rien de tambouriner sur cette foutue porte. C’est du double vitrage. Sécurit. Aucun risque que ça casse. Je vais m’esquinter les mains pour rien.
Assieds-toi. Reprends ton calme et analyse la situation. D’accord, elle n’est pas brillante, la situation, mais il doit bien y avoir moyen d’en sortir de ce foutu sauna.
J’ai quoi sous la main ? Une louche en bois. Sans intérêt. Pas suffisamment solide pour casser quoi que ce soit. Le seau à eau. Même chose. Et en plus, je risque de rapidement en avoir besoin de cette eau. Les repose-têtes. Pareil. Ça n’attaquera jamais la vitre. Les pierres ! Voilà, c’est ça l’idée, les pierres. Il n’y a qu’avec ça que je pourrais la casser cette saloperie de vitre. Le tout, c’est de pouvoir les prendre. Elles doivent être brûlantes. Évidemment, pauvre pomme, c’est le principe même du sauna ! Avec le peignoir, peut-être ; en plusieurs épaisseurs. En faisant vite ça devrait pouvoir aller. Et tant pis si je me brûle.
Et merde ! Saloperies de fibres synthétiques. Ça fond immédiatement au contact des pierres et ça ne protège même pas de la chaleur. Avec du coton, ça ne serait pas arrivé. De toute façon, c’était foutu, elles sont scellées. Pas moyen de les bouger. Le salaud ! Il avait vraiment pensé à tout.
Dans dix, vingt minutes, une heure peut-être, je serai morte. C’est certain. Inévitable. Pas de soif. Non. Il reste encore assez d’eau pour tenir longtemps. C’est le cœur qui ne tiendra pas. Trop longtemps, c’est l’arrêt cardiaque assuré.
Accident cardiaque dans un sauna. Quoi de plus banal. Le crime parfait. Du grand art. Je ne le savais pas si doué. Et c’est sur moi qu’il a fallu que ses talents s’exercent. J’aurais dû demander le jacuzzi avant le sauna. Je serais certainement restée vivante plus longtemps. Je ne serais pas coincée dans ce cercueil.
Un cercueil avec vue sur la mer.
* * *