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Pièce de théâtre tout public, Air conditionné — La comédie des temps chauds est l'œuvre de Paul Guimont et Serge Travers (Serge Travers à qui l'on doit La folle nuit des toiles et Le cirque d'Amélie, comédie parue aux prestigieuses Éditions de la rue nantaise, mises toutes deux en scène par la très fameuse Compagnie des Tréteaux de l'Ille).
Air conditionné — La comédie des temps chauds, c'est l'histoire, en 12 scènes, d'un futur pas si lointain : en 2049, la canicule règne. Les saisons ont disparu, laissant la place à un soleil éternel. Les survivants, des multiples et terrifiants cataclysmes qui ont about à rendre la Terre invivable, sont confinés dans des abris souterrains sécurisés par l'État. Mais à vivre les uns sur les autres, l'air, même s'il est climatisé, devient vite irrespirable.
Zacharie, le patriarche, voit son autorité chatouillée par des enfants dans l'incapacité de quitter le terrier. Larissa se soucie essentiellement de son bronzage et de trouver l'amour. Insurgée, Grenadine rend son père responsable de leur vie troglodyte. Balthazar est un geek lunatique qui se consacre à l'astronomie. Luciole, la mama, s'occupe de faire bouillir la marmite et de recoller les morceaux. Tout irait presque bien si l'arrivée de tata Frida et tonton Harry n'était pas annoncée. Et tout irait encore mieux si l'Administration les laissait respirer.
Problèmes de promiscuité, de climatisation, de conflits intergénérationnels et de tracas administratifs s'empilant, la situation frôle le drame. Mais, même dans les plus improbables conditions, des solutions surgissent toujours. C'est le tonitruant message que Serge Travers et Paul Guimont s'ingénient à transmettre.
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Personnages
Zacharie — Le père
Luciole — La mère
Balthazar — Le fils
Grenadine — La fille
Larissa — La fille
Frida — La sœur de Luciole
Harry — Le mari de Frida
Homme 1 — Agent de l’État
Homme 2 — Agent de l’État
Vous pouvez dès aujourd'hui commander cette pièce radioactive, auto-bronzante et néanmoins très drôle auprès de nos services.
ISBN : 978-2-9532609-9-1 (mai 2010)
90 pages
12 euros
14,5 × 21 cm
Couverture couleur de Srï.
Les héros d'Air conditionné étaient sur les planches du théâtre des Tilleuls à Chevaigné les 10, 17, 24 novembre, et le 1er décembre 2012, ainsi que les 12, 25 et 26 janvier 2013 et 2 février, ainsi que le dimanche 3 février 2013.
EXTRAIT
Scène 1
Zacharie est en fauteuil roulant, une couverture sur les genoux. Son épouse, Luciole, peint avec un gros pinceau des fleurs séchées posées dans un vase.
Zacharie : Quel jour sommes-nous ?
Luciole : On est mercredi.
Zacharie : On est mardi, non ?
Luciole : Si tu sais, pourquoi me demandes-tu ?
Zacharie : J’ai un doute. Si on est mercredi, ça veut dire que demain on sera jeudi et…
Luciole : Et alors, ça change quoi ? Qu’on soit mardi, jeudi ou samedi, ça change quoi, tu veux m’le dire ?
Zacharie : Ça change tout. Si on est mercredi et non pas mardi, ça signifie que je suis en retard… Mon cerveau n’arrive plus à suivre le rythme du temps qui passe. Et c’est grave, Luciole, c’est grave. Le rythme du temps n’est pas infernal, il est lent… donc, je suis encore plus lent… Mes neurones ramollissent… comme tes fleurs, elles se dessèchent et je perds pied… Regarde, s’il te plaît, quel jour on est.
Luciole : (Elle se dirige agacée vers un meuble. ) Je te dis qu’on est mercredi, tu es têtu. (Elle prend un cahier et lit.) Mercredi 22 décembre 2049, alors !
Zacharie : C’est donc bien ma tête qui perd pied. Tout doucement, je prends du retard jusqu’au moment où je ne pourrai même plus m’en rendre compte. Est-ce que tu réalises, Luciole ? La sénilité me guette… Le drame de la sénilité, ce n’est pas de perdre ses facultés intellectuelles, c’est de perdre la faculté d’en être conscient.
Luciole : Tant que tu raisonnes, il n’y a pas péril dans le bungalow !
Zacharie : Non, non, Luciole, je sens bien que je perds pied.
Luciole : Mais ça fait déjà vingt ans que tu as perdu pied… depuis que tu es en fauteuil roulant.
Zacharie : On finit tous un jour ou l’autre par perdre pied. Toi aussi, un jour, tu seras concernée… Le processus est le même pour tous, pour toi comme pour moi… sauf que moi, en plus, je vais déjanter.
Luciole : Qu’est-ce que tu as ce matin ? Tu t’es levé de la mauvaise roue ou quoi ?
Zacharie : (Interrogatif. ) Tu m’as dit qu’on était le 22 décembre 2049 ? Dans dix jours, on est en 2050, alors ?
Luciole : Oui, et alors ?
Zacharie : Et alors ? Ça veut dire qu’on vieillit, Luciole, et qu’on approche de la fin. J’ai l’impression que tu n’as pas conscience du temps qui passe. Les jours, les mois, les années défilent… inéluctablement… et la roue tourne…
Luciole : Tant mieux si ta roue tourne !
Zacharie : On va changer d’année comme si de rien n’était. Juste par habitude… Tu te rappelles, il y a longtemps, au moins, on marquait le coup. On faisait la fête. Comment s’appelait ce qu’on buvait pour marquer le coup ?
Luciole : Du champagne.
Zacharie : Voilà, du champagne. C’était l’époque où le soleil était juste assez chaud pour gonfler les raisins… pour qu’ils viennent à maturité au moment des vendanges, des raisins bien juteux… Tu vois, je ne sais même plus le goût qu’il avait ce champagne.
Luciole : Moi, je me souviens qu’il me faisait tourner la tête. Ce n’est pas plus mal que la production se soit arrêtée.
Zacharie : J’aimais bien quand la tête te tournait. Tu étais drôle. Qu’est-ce que tu étais drôle quand tu te prenais une saoulée !
Luciole : Toi, c’était l’inverse. Qu’est-ce que tu étais chiant !
Zacharie : J’aimais bien quand tu disais (Il l’imite, ivre. ) « J’ai pas bu… plus que d’habitude… et pourtant j’ai mal à la tête… plus que d’habitude »… et tu terminais ta phrase par « Hic ! »… Tu te souviens quand tu te mettais à danser sans raison… avec ta robe rouge… emportée par la force centrifuge, elle prenait la forme d’un abat-jour. On voyait bien que le pied de l’abat-jour avait de la cuisse. Et quelle cuisse, ma Luciole, fine et élancée, ferme et bien en chair…
Luciole : Arrête de regarder derrière !
Zacharie : Pour voir ta cuisse ferme et élancée, faut bien regarder en arrière. Moi aussi, j’aimais danser. Le tango surtout... C’est pas hier tout ça ! Aujourd’hui, une marche me contenterait… (Un temps. ) Dis-moi, depuis combien de temps, maintenant, on n’a plus le droit de fêter Noël ?
Luciole : Arrête de ressasser les vieux souvenirs !
Zacharie : (Interrogatif. ) Ce n’était pas l’année où j’ai passé mon permis de fauteuil ? Si, c’est ça, ça fait 20 ans. Je m’en rappelle parce que j’ai failli le louper mon permis… à cause d’un créneau, entre un sapin lumineux et un caddie. À l’époque il y avait encore des caddies… et surtout des supermarchés !
Luciole : Que nos rations nous soient livrées, c’est mieux. On ne fait plus la queue. On perd moins de temps. Surtout qu’à la fin, il n’y avait plus grand-chose dans les rayons.
Zacharie : Peut-être, mais le temps qu’on perdait, au moins on savait à quoi on le perdait. Maintenant, on a du temps mais qu’en fait-on ? Rien. Avoir le temps et ne rien faire, c’est bête !
Luciole : C’est vrai qu’avoir le temps et ne rien faire… ce n’est pas pareil qu’avoir le temps de ne rien faire. (Un temps.) Tiens, donne-moi une couleur, au hasard.
Zacharie : Au hasard ? Vert.
Luciole : Non, une autre, j’ai déjà du vert.
Zacharie : Rouge.
Luciole : Non, non, une autre.
Zacharie : Qu’est-ce qu’il te reste ?
Luciole : Du jaune.
Zacharie : Alors jaune.
Luciole : Ah oui, très bien le jaune. Merci. (Elle prend un pot de peinture jaune — Un temps.) Harry et Frida ne devraient plus tarder maintenant…
Zacharie : Dans quelques jours, ils seront là. Ils avaient bien quatre-vingt à cent jours de marche…
Luciole : Dans quel état on va les retrouver ?
Zacharie : Vivants. On va les retrouver vivants…
Luciole : Oui, vivants, ce n’est déjà pas si mal ! C’est même un miracle. Huit cent mille morts dans ce déluge maudit et, par chance, eux deux sont en vie… c’est un miracle !
Zacharie : Un déluge, c'est une catastrophe mais… ta sœur vivante, c'est aussi une catastrophe. Je ne l'aime pas, ta sœur. Rien que de savoir qu'elle ramène sa fraise, ça me donne des brûlures d'estomac, ça me chicote l'épiglotte, ça me turlupine les sphincters, ça me noue le duodénum… Elle est invivable ! Elle sent le vomi, ta sœur… Et c'est une langue de vipère.
Luciole : Toi, tu n’aimes jamais rien.
Zacharie : Si, ton beau-frère, je l’aime bien, mais elle…
Luciole : Notre beau-frère. C’est notre beau-frère à tous les deux.
Zacharie : Oui, c’est notre beau-frère, mais c’est ta sœur…
Luciole : Et alors, est-ce que j’y peux quelque chose ? C’est ma sœur, c’est ma sœur…
Zacharie : Elle est insupportable, avoue-le !
Luciole : Il y a tellement longtemps qu’on ne l’a pas vue, elle a peut-être changé.
Zacharie : Elle a sûrement changé, mais en pire. En vieillissant, les gens insupportables deviennent indésirables.
Luciole : Indésirables ? C’est pourtant toi qui as accepté de les héberger tous les deux.
Zacharie : C’est un réflexe humanitaire. On ne peut pas refuser l’hospitalité à ceux qui sont dans le malheur… Subir un déluge et patauger dans l’eau boueuse, c’est une épreuve. Faut être solidaire... Un réfugié est un réfugié. Seulement, c’est dommage de tomber sur ta sœur…
Luciole : La dernière fois qu’on les a vus, c’était il y a dix ans.
Zacharie : Possible. Mais tu vois, je n’ai aucune sensation de manque.
Luciole : Les enfants vont être contents de revoir Harry et Frida.
On entend une sonnette insistante.
Luciole : Tiens, les enfants, justement. (Elle va à l’interphone et appuie sur un bouton.) De grâce, laissez cet interphone en paix. À votre âge, voyons, vous n’avez pas mieux à faire que de jouer aux imbéciles ?
On entend la voix grave d’un homme.
Homme 1 : Ce ne sont pas les imbéciles, madame, c’est l’Administration centrale… ouvrez, s’il vous plaît.
Luciole : (Confuse.) Oh, excusez-moi, je vous envoie le tube (Elle appuie sur un bouton.) (À Zacharie, affolée.) C’est l’Administration centrale. (Elle range rapidement ses affaires de peinture.)
Zacharie : L’Administration centrale ? Ah, pour une surprise, c’est une surprise !