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Il y a des individus qui n’ont pas le sens du merveilleux… Alors même que, par bien des côtés, ils ont une vie fantastique… Fantastiquement ratée, fantastiquement plate, fantastiquement morne et lugubre. Ainsi : Rémi Cuche, scrupuleux fonctionnaire des impôts dans le quatorzième arrondissement dans la journée, banlieusard célibataire le soir, après avoir franchi le périph’ à bord de sa Fiat 200 grise. Sa vie est une suite de non-événements, dénuée de sentiments, d’espoirs, sans initiatives, ou si peu, qu’on a de la peine pour lui.

La pesée des légumes s’effectue en caisse de Sabine Jourdain tisse la trame d’un drame banal, celui d’un homme qui n’a pas d’ami, si ce n’est un type croisé dans un bar qui étudie l’évolution du slip à travers les âges, si ce n’est un commissaire de police soupçonné de gruger le fisc, si ce n’est cette jeune femme, qui travaille à la radio et qu’il rencontre grâce aux petites annonces. Pâles lueurs qui éclairent douloureusement l’existence blafarde d’un homme qui a cessé de croire aux coïncidences.

 

14,5 × 21 cm
212 pages
© juillet 2010
ISBN : 978-2-919265-01-5
15 €


La pesée des légumes s'effectue en caisse de Sabine Jourdain est disponible à Rennes au Papier Timbré (39 rue de Dinan).

 

Extrait


Rémi Cuche, quasi quinquagénaire, vêtu d’un costume dépareillé, cravate jaune poussin, veste grise et pantalon marron, était au volant de son véhicule gris non métallisé. Un de ces gris pâlots reproduisant à l’identique la couleur, trois cents jours sur trois cent soixante-cinq, des cieux parisiens. Il habitait la proche banlieue. Malakoff. Dans un minuscule pavillon plus haut que large, avec deux niveaux de superposition : deux tranches de Lego géométriquement posées l’une sur l’autre.

Un pot de départ, auquel il s’était senti contraint d’assister, l’avait retardé. Du coup, sa boulangerie habituelle serait certainement fermée. En abordant le quatorzième arrondissement, il se mit en quête d’une autre boulangerie. Il tourna dans une rue encombrée de piétons, aperçut une voiture sortant d’un emplacement. Son clignotant activé, il dépassa l’emplacement, avant d’engager une marche arrière. Il avait amorcé son créneau, lorsqu’il se rendit compte qu’une jeune femme s’agitait sur le trottoir. Elle battait des bras. Tel un canard n’arrivant à prendre son envol, avec gestes de tout le corps et force mouvements de tête, elle tentait de lui démontrer que l’emplacement de parking était réservé. Rémi Cuche s’immobilisa.

Chaque fois qu’il se trouvait confronté à une situation imprévue, il s’immobilisait. Telle une couleuvre en danger, feignant la mort. Rigide. Pour expliquer ce type d’immobilisation subite, il aurait fallu pouvoir obtenir à ce moment précis une image complète de son cerveau par imagerie à résonance magnétique. Peut-être aurait-on alors découvert des circuits distendus, des interconnexions enchevêtrées ou, simplement, un cerveau reptilien de taille supérieure à la moyenne nationale. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir l’autre partie du cerveau d’une bonne taille, ainsi que le laissait apparaître la grosseur de sa tête. Certes pas disproportionnée, car l’homme était de grande taille, mais tout de même supérieure à celle du commun des mortels. Son visage était tendu à l’extrême. La donzelle lui faisait maintenant signe de s’en aller. Des phares jaillirent dans son rétroviseur, l’éblouissant avec brutalité. De pleins phares ; ceux d’une Audi vert foncé, qui se colla contre son pare-chocs arrière. Rémi baissa sa vitre, cria d’un seul tenant : « J’étais là avant ! » Sa fureur entièrement canalisée dans ses mâchoires. La demoiselle s’avança vers la portière :

- Je vous fais signe depuis tout à l’heure pour vous dire que la place est occupée !

- Vous n’êtes pas venue me le dire ! rétorqua Cuche.

- Mais puisque je vous faisais signe !

- Vous êtes malhonnête !

- N’avez-vous pas vu que j’étais là avant ! J’attendais que mon ami fasse le tour du pâté de maison et…

- Ne seriez-vous pas de mauvaise foi ?

Arc-bouté sur sa contrariété, Cuche ne bougeait pas d’un poil. Devant son obstination, la fille crut bon de faire amende honorable, allant même jusqu’à s’excuser. Cuche ne bougeait toujours pas, les mains agrippées à son volant comme un enfant à son jouet. Le propriétaire de l’Audi vert foncé appuya sur le klaxon, un coup, puis trois d’affilée, rapprochant plus encore son pare-chocs de l’arrière du véhicule de Cuche, jusqu’à le toucher. Il se crispa davantage.

- Écoutez, je suis fatiguée, gémit la fille, j’ai besoin d’aller me coucher !

- Qu’est-ce que j’en ai à foutre ! grogna Cuche.

Entre temps, deux places s’étaient libérées dans la rue, mais Cuche, le regard braqué sur la jeune femme dont le désespoir allait croissant, ne l’avait pas remarqué. Il était immobilisé sur son refus. Sur le trottoir, quelques passants ralentirent, afin d’être aux premières loges au cas où surviendrait une altercation. Un des deux hommes allait-il sortir de sa voiture ? En viendrait-on aux mains ? Rien ne se produisait.
La jeune femme levait les bras au ciel, les laissait retomber, jetant des regards de détresse vers son compagnon. L’Audi fit alors une très courte marche arrière, prit de l’élan, et, à deux reprises, vint buter contre le véhicule gris non métallisé. Le choc eut pour effet de remettre en route les circuits internes de Cuche qui repassa du point mort en marche avant et démarra sur les chapeaux de roue.

« Salope ! Grosse pouffe ! » cria t-il.

Rémi Cuche finit par trouver une autre place, quelques rues plus loin. Il acheta sa baguette, une des dernières sur l’étagère, pas bien cuite, s’y accrocha comme un noyé à sa bouée. Ce pain-là sauverait-il une soirée qu’il savait gâchée d’avance ? En sortant de la boulangerie, il repassa devant le lieu de l’altercation. L’Audi verte y était garée, comme un cadavre déjà refroidi. Il s’arrêta en double file, regarda aux alentours, décocha un coup de pied dans la porte avant du conducteur. La tôle était solide. Son pied l’était moins. Il ressentit une vive douleur qui ne s’estomperait que quelques heures plus tard.

 

*



À Malakoff, il se gara devant son pavillon. Sur son emplacement réservé, après avoir glissé sa clé dans le cadenas qui en barrait l’accès. Glissa la clé dans la serrure principale, actionna le verrou du haut, celui du bas. Pénétra enfin dans son intérieur aux volets clos. Appuya sur l’interrupteur. Refit de même, en sens inverse, commençant par le verrou du bas, terminant par celui du haut.

Une fois en sécurité dans son intérieur, il alluma la télévision, se dirigea vers le bar américain, ouvrit la porte du réfrigérateur et poussa un long soupir. Un morceau de pâté, une scarole sous plastique, de la carotte râpée de l’avant-veille et deux bières en composaient le décor. Le tout fut placé sur un plateau, vite fait, puis sur l’unique table du petit salon. Après être retourné chercher un décapsuleur, il s’affala dans le canapé. S’apercevant qu’il avait oublié de prendre un verre, il but au goulot. Le regard figé sur les images qui défilaient sur le petit écran, ses pensées erraient entre sa journée de travail et la fille qui l’avait empêché de se garer là où il le souhaitait. Il était d’humeur très très morose.

À suivre…

 

 

 

 

 

 

 

Dernière modification : 27/02/2014 15h07
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