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Karim Kara Mosli a toujours été sensible à l'électricité sous toutes ses formes.
Il est né en 1972, en Belgique, où il réside.
La Fulguration est sa première contribution au catalogue des Éditions de la rue nantaise.



Bibliographie aux Éditions de la rue nantaise

 

     

Interview de Karim Kara Mosli par Conrad Vondeerbluikt


Conrad Vondeerbluikt : Comment est née La Fulguration ?

Karim Kara Mosli : Un jour, de nuit, alors que j’avais le nez collé contre la vitre de mon appartement, le regard fixé sur un ciel gris sombre, bas et menaçant, ma très vieille hantise de l’électricité sous toutes ses formes a resurgi. J’ai toujours été très réceptif à l’énergie à la fois exaltante et inquiétante que dégage la foudre. Et comme j’aime me confronter à ce que je redoute le plus… Rien de tel qu’un ciel soudain illuminé, déchiré par les éclairs et un roulement erratique, prêt à fondre sur tout ce qui est vivant, transformant un ciel serein en un ennemi redoutable. « Et si la foudre tombait sur la tête de quelqu’un de pur, d’inoffensif ? », m’interrogé-je, soudain. Et Beyrem, mon personnage principal — hirsute, la tête fumante, le costume délesté de tous ces boutons —, s’est matérialisé sous mes yeux.

Conrad Vondeerbluikt : Pouvez-vous résumé l’histoire de votre roman pour nos lecteurs ?

Karim Kara Mosli : Volontiers. C’est l’histoire d’un employé que le goût de l’enfance n’a pas encore quitté. Une boîte d’allumettes ou même une simple prise de courant sur le mur arrive à le précipiter dans un éblouissement sincère. Un jour, un coup de foudre s’abat sur lui. Cette Fulguration va lui donner des poussées d’excitations et un nouveau goût pour la violence. Va-t-il succomber aux injonctions sauvages de son corps déchaîné qui le pousse à se comporter contrairement à ses convictions les plus intimes ou va-t-il résister ? Jusqu’où ira sa débâcle morale ?

Conrad Vondeerbluikt : Peut-on considérer ce roman comme autobiographique ?

Karim Kara Mosli : Si l’on entend par « autobiographique » un récit qui raconte fidèlement des événements de la vie de l’auteur, alors non, n’est pas autobiographique. Personnellement, je n’ai pas connu le sort de mon héros, dont la tête a été, tel un paratonnerre, le réceptacle d’un coup de foudre vicieux. Du reste, raconter ma vie ne m’intéresse guère, c’est tellement ennuyeux et barbant. Je préfère créer un univers que je découvre moi-même — au fur et à mesure. À tâtons. Mais le poids de notre moi est si puissant qu’il s’infiltre, malgré toutes nos mystifications, entre les lignes et imprègne tout le livre d’une fragrance facilement reconnaissable.

Conrad Vondeerbluikt : Pouvez-vous nous parler un peu de Beyrem, le personnage principal ?

Karim Kara Mosli : Beyrem est un poète, un excentrique, un rêveur. Un rêveur assailli par la violence du monde qui est pour lui une continuelle agression. « Un magnifique spécimen d’anachronisme, un gentil coupon d’antiquité, une rareté. » Très sensible, à l’orgueil exacerbé, c’est un adepte du mystère auquel il associe volontiers l’obscurité. Pour lui, la lumière (d’où la notion de l’électricité) personnifie l’absence de mystère et de magie, la négation même de l’énigme cosmique. Il craint qu’on le dépossède de sa vie intérieure, d’où son effort parfois pathétique pour se soustraire à tout attachement, à tout engagement. À la logique du monde, il a substitué la sienne, plus libre, plus poétique et qui ne souffre aucune intrusion. C’est aussi quelqu’un qui veut tout contrôler, dans les moindres détails.

Conrad Vondeerbluikt : Jusqu’au coup de foudre dont il va être la victime…

Karim Kara Mosli : Exact. C’est l’élément déclencheur. Ce coup de foudre, qu’on peut considérer comme une remise en question subite et non désirée, comme si on avait soudain immergé son esprit dans un bain rempli de liquide révélateur, force anéantissante, source de chaos et de désordre, va le contrarier dans ces préjugés. Lui qui prône le retrait, la discrétion, lui qui maîtrise à la perfection l’art de ne pas s’engager, nulle part, avec personne, lui qui a apposé à la face du monde son veto, va se retrouver, sous l’effet de la foudre, impliquer dans plusieurs affaires : les femmes, la lutte nationale pour l’indépendance, les complots anarchistes… Ce coup du destin va intensifier en lui son conflit intérieur jusqu’à l’éclatement. Il se rendra compte que son intégrité l’a préservé jusque-là de tout questionnement. Seul, indifférent aux jugements des autres, il est d’autant plus facile de se raffermir dans ces certitudes, surtout lorsqu’on est très sensible à la dispersion du moi, cette blessure moderne. L’homme orgueilleux, c’est celui qui possède une très haute estime de soi ne souffrant pas la confrontation, ce qui entraîne une forme de paresse d’être. Saisira-t-il cette chance d’une remise en question radicale ? Se laissera-t-il emporter par les flots déchaînés de sa propre existence ? Tel est son dilemme.

Conrad Vondeerbluikt : Quelle ironie ! Du coup, il devient une sorte de super-héros.

Karim Kara Mosli : Oui, l’ironie de la situation fait que l’effacé, le timide, le malhabile, le craintif Beyrem devient peu à peu l’Übermensch, une sorte de surhomme que l’on destine à un tas de desseins plus ou moins nébuleux. De nos jours, les super-héros sont légion, très populaires dans les médias, mais si mon Beyrem s’apparente à cette race de personnages, c’est uniquement à contre-pied. Mon héros ne cherche pas à sauver le monde, mais uniquement lui-même, et c’est déjà trop lui demander !

Conrad Vondeerbluikt : Lorsque vous avez commencé La Fulguration, aviez-vous déjà une idée du genre à travers lequel vous souhaitez vous exprimer : une satire, un drame, un conte fantastique, un vaudeville, une comédie existentielle ? Avez-vous conçu un plan au préalable ?

Karim Kara Mosli : Non, pas vraiment. J’ai écrit La Fulguration dans un état d’esprit enjoué et jubilatoire. Je venais de perdre mon travail et, du coup, j’avais beaucoup de temps. J’écrivais au fur et à mesure tout ce qui me passait par la tête. Je me déchargeais, je m’amusais. Je me levai le matin à huit heures, puis je me mettais à ma table de travail, comme un employé modèle, avec discipline, mais sans aucune responsabilité, ni obligations, ni directives. Dès que je terminai un chapitre, je l’envoyais à une amie qui le lisait avec ses collègues de bureau. Comme une livraison quotidienne en feuilleton. Elles étaient mon premier public. Elles trouvaient l’histoire amusante, alors j’en rajoutais, toujours davantage dans le burlesque, dans le délirant, puis le livre s’est mis à s’écrire tout seul, pour me rendre compte, quatre mois après, que j’avais achevé La Fulguration, roman drôle et divertissant, mais qui traite quand même de thèmes assez brûlants pour moi.

Conrad Vondeerbluikt : Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?

Karim Kara Mosli : Mon roman peut aisément se rattacher aux codes du Bildungsroman, au roman d’éducation, mais au lieu de dérouler sur des années l’évolution du personnage, le coup de foudre permet l’accélération du processus. Au lieu d’une prise de conscience lente et progressive. Paf ! Un coup sur la tête qui résume bien ce changement. Cela permet de manier l’ellipse et de ne pas s’encombrer de détails inutiles. Rien n’est plus pernicieux pour le roman que le remplissage, les passages obligés. Il est évident que la vision du monde de Beyrem se rapproche fortement de la mienne. Moi aussi je me méfie de toute action entreprise, où peut se nicher un germe corrupteur. Une forme de mal, notion inhérente à toute action (d’où la présence des nihilistes). Moi aussi je souhaite rester fidèle à moi-même plutôt que de m’adapter aux attentes des autres, préserver mon intégrité. Son ascèse, son refus du divertissement facile, sa pudeur dans les sentiments, sa froideur même… Sans l’avoir prémédité, une série d’antinomies ont jailli de ma plume : ordre/désordre ; engagement/désengagement ; lumière/obscurité ; action/contemplation, etc. D’autres thèmes aussi sont traités, mais de manière plus lâche comme le nihilisme et l’utilitarisme. Évidemment, ce n’est pas un pensum, ni un traité, mais un roman plein de passion, d’envolées lyriques, et de poésie. Une poésie noire, certes, mais une poésie quand même.

Conrad Vondeerbluikt : Ce qui est paradoxal c’est que votre personnage principal veut s’effacer, disparaître, demeurer dans les marges, alors que l’auteur, lui, grimpe sur les épaules de ce pauvre Beyrem pour s’imposer, s’affirmer, et, pourquoi ne pas le dire, pavoiser devant le lecteur, et faire le beau.

Karim Kara Mosli : C’est vrai, ma personne, en partie, est contenu dans le personnage de Beyrem. Je m’identifie fortement à lui. Je ne le nie pas. Nous avons plus d’un point en commun. Je l’aime beaucoup. Mais, et c’est l’un des paradoxes dynamiques de l’art, je désire aussi dépasser ces dilemmes en les affrontant. L’auteur veut l’excellence, il veut briller, sinon il ne chercherait pas à publier, à soumettre ses textes à de parfaits inconnus, même si, secrètement, ses tendances profondes le ramènent plutôt vers l’alcôve secrète où se décantent ses propres démons.

Conrad Vondeerbluikt : c’est un peu facile comme explication, non ?

Karim Kara Mosli : Oui, mais que voulez-vous ? L’une des forces du roman c’est qu’il constitue la voix de l’individu. Tout mon effort tend à lier ma littérature à ma vie, à mes problématiques. Cela ne m’intéresse pas seulement de raconter une histoire, fût-elle captivante. On doit sentir l’auteur derrière l’œuvre, c’est très important. J’aime vraiment ce petit monde décalé, confidentiel, un peu obscur et étrange, un peu marginal de petits théâtres où se produit une faune d’individus largués, fragilisés par une existence précaire, qui rêvent de gloire artistique, sans en avoir les moyens. Un monde à l’écart, capitonné de velours et d’aspirations, même si moi-même je ne fréquente presque jamais les théâtres. Je me suis arrangé pour créer un carrousel de luxe qui soit capable de me plonger dans un univers à la fois réel et onirique. Dans notre monde de plus en plus enclin aux simplifications, à la paresse intellectuelle, à la prédominance de l’émotion, le roman représente un vivier où peut s’épanouir une pensée qui ne recule pas devant la contradiction, ni l’ambiguïté, ni la rêverie. Je reste souvent étonné devant les interprétations étroites de certains lecteurs. Beyrem serait, à leurs yeux, un pauvre hère, une âme en peine, un antipathique et un minable. Je ne partage pas du tout cette lecture ! Une des clés pour appréhender sa personnalité, c’est son orgueil démesuré. Son orgueil est tellement puissant qu’il est prêt à renoncer à vivre, à s’interdire de nouvelles expériences. Mais voilà que le doute, suite à La Fulguration, s’insinue dans ses pensées. Alors, il se met à s’interroger : et si son orgueil n’était qu’une carapace derrière laquelle il avait trouvé refuge ? Et, dans le même ordre d’idées, si son intégrité cachait une veulerie ? Et si son besoin d’absolu n’était que pure complaisance ?

Conrad Vondeerbluikt : Là, je vous avoue ne pas bien vous suivre. Pourquoi Beyrem s’empêche-t-il de vivre une relation amoureuse avec Mirza, par exemple ?

Karim Kara Mosli : Beyrem est un cérébral. Sa jouissance, il l’extirpe de son propre corps, de ses pensées. C’est un onaniste, un individualiste. Pour lui, le monde est cent fois plus passionnant dans sa tête, tel qu’il l’imagine, que celui qui l’entoure.

Conrad Vondeerbluikt : Certains passages, par leur violence et leur aspect monstrueux, m’ont fait penser au style de Kafka, comme s’il avait peint un tableau de Francis Bacon, surtout lors des métamorphoses du héros sous l’effet de la foudre…

Karim Kara Mosli : Je vous avoue que je n’aime pas trop ces formules journalistiques : « C’est du Lewis Carroll mâtiné d’un zeste de Balzac », ou encore : « C’est du Philip K. Dick assaisonné à la sauce Proust », comme s’il s’agissait d’une recette de cuisine et qu’il suffisait d’aligner des écrivains aussi différents de tempérament que de style dans la même phrase pour que la mayonnaise prenne. On a beau déployer des efforts surhumains pour se démarquer, pour laisser s’exprimer sa singularité, aussitôt, avant même que vous ayez eu l’occasion de faire vos preuves, on vous noie sous un déluge de noms. On ferait mieux de prêter une oreille attentive à ce que ces auteurs ont à nous dire, avant de les ensevelir sous une masse d’hôtes encombrants, dont ils n’ont par ailleurs jamais cherché la compagnie !

Conrad Vondeerbluikt : Votre roman est aux antipodes de la littérature actuelle, celle surtout en prise avec le monde contemporain. Votre style est classique, élégant, la ligne narrative est claire. Où vous vous situez-vous ? Et en quoi les thèmes que vous abordez concernent-ils le lecteur d’aujourd’hui ?

Karim Kara Mosli : Je ne me situe pas, je me contente d’écrire ce qui me plaît. Je suis un peu comme mon héros qui dit : « La critiquer (l’époque), c’est déjà l’aimer un peu. » Et ni lui ni moi nous ne l’aimions beaucoup, cette époque. À force d’être trop arrimé aux apparences de son époque, on manque de hauteur de vue. Un peu de sérieux, voyons. Il ne suffit pas de reproduire les SMS dans un roman pour prétendre tenir le pouls de son époque. Tant de romans se disent contemporains alors qu’ils sont déjà dépassés et caducs avant même d’être envoyé à l’imprimerie.

Conrad Vondeerbluikt : Comment peut-on interpréter la fin que j’ai trouvé personnellement déprimante, sinistre ? Considérez-vous comme un auteur pessimiste ?

Karim Kara Mosli : Est-ce que le dilemme dans laquelle se débat Beyrem est résolu à la fin ? Je laisse au lecteur le soin d’en juger lui-même.

 

Propos recueillis par Conrad Vondeerbluikt, chroniqueur littéraire pour Courants alternatifs magazine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dernière modification : 18/04/2017 10h00
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