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Louisette quitte Trégorec, une fois son Bac (avec mention Bien qui plus est)  empoché. La vie est chouette. Elle part pour Rennes-la-Belle. Une nouvelle vie l'y attend. La nouveauté va d'abord prendre le visage de sa grand-tante, qui l'accueille à bras ouverts, mais entre lesquels Louisette va rapidement se sentir à l'étroit. Un grand destin l'appelle. En l'occurrence, il s'agira d'un premier emploi, dans une boulangerie industrielle. Sur la route de Vitré-les-Fossettes.


Louisette Number One de Cyrille Cléran est un roman injustement ignoré, paru initialement sous le titre Derrière les géraniums (éditions Le Manuscrit), auquel les éditions de la rue nantaise vont donc donner une seconde chance. Ce roman ingénu est l'occasion de découvrir une galerie de personnages attachants (Paolo Zwar et sa mère ; Dany le Dandy, qui en attendant de travailler pour le CNRS bosse de nuit dans une boîte de télésurveillance ; l'animatrice Christina Mogier qui officie sur Radio Frankiz ; Titi Chouvert et sa femme dépressive ; Alberta Lhêtre et ses conseils avisés ; Jim Blanchard le brocanteur homosexuel et pieu ; Rné Torreau le prof d'histoire vacataire fumeur de shit ; Zamira, l'architecte à temps partiel dans un petit cabinet de Vezin-le-Coquelet...). Il propose aussi un regard, attendri, sur les idéaux (immortels) d'une jeunesse dure au mal.

 

18 € - 14,5 × 21 cm - 210 pages © novembre 2013 - ISBN : 978-2-919265-43-5

Cet ouvrage est disponible à Rennes, chez M. Bruno Duval à L'Encre de Bretagne, 28 rue Saint-Melaine.


Extrait : 1
 

Le paysage défile derrière la vitre. Du moins est-ce l’impression qu’il donne puisqu’il est, comme chacun sait, globalement immobile. Des fermes surgissent. Des clochers entourés d’arbres et de toits signalent des bleds. Louisette est satisfaite.

Par peur d’une amende, elle a composté son billet en le glissant dans la bouche de la tour orange et carrée qui lui arrivait à hauteur de hanches. Au-delà de cette limite, votre billet doit être composté pour être valable. La machine a resserré ses mâchoires et schkliack ! avalé d’un coup un bout de billet grand comme à peu près la moitié d’un confetti. Elle est montée à bord, s’est faufilée avec son gros sac, s’est assise, a plié sa veste sur ses genoux.

Le contrôleur, puisque c’est son métier, a ensuite sorti un poinçon, imprimant à l’encre violette une série de petits numéros sur le billet de Louisette. « Merci ! » Puis l’a gratifiée d’un joli sourire – Louisette aime les risettes. Les lèvres du contrôleur dessinaient des courbes charnues. Sa voix était douce et lourde en même temps, dans des tonalités quasi érotiques. Sans doute à cause de leur uniforme austère qui n’est pas sans rappeler celui des gardiens de prisons, Louisette pensait que tous les contrôleurs étaient secs et ronchons comme des vieux croûtons atrabilaires, avaient des voix de canard et qu’ils avaient échoué à la sncf en désespoir de cause, après avoir été recalés au concours permettant de devenir facteur.

Celui-là a le charme de la jeunesse et sa casquette lui va plutôt pas mal. On dirait un officier de marine à quai. Ou un musicien du bagad de Lann-Bihoué dont l’instrument serait une oblitératrice à une seule note. Il poursuit sa route entre les deux rangées d’usagers.

Comme elle est heureuse de prendre le train toute seule comme une grande ! Sa valisette est au-dessus de sa tête, bien calée. Elle contient du linge et un nécessaire de toilette. Louisette a préféré ne pas s’encombrer pour pouvoir conserver une mobilité optimale.

« Tu ne prends pas tes livres ? lui a demandé sa mère, vaguement inquiète.

- J’en achèterai sur place. Dans des librairies », a-t-elle précisé pour que sa mère puisse se faire une idée concrète de l’endroit où l’on pouvait effectivement en trouver.

Le train s’arrête. « Lamballe-les-Fauvettes : deux minutes d’arrêt. » Ce qui semble être une grappe d’étudiants embarque. Après avoir aidé une vieille aux mains chargées de bagues à hisser à bord sa valise à roulettes, un homme d’affaires à lunettes grimpe à son tour. Une femme et son mari descendent sur le quai et s’enfoncent dans la gare sans cachet. La pendule, qui vient de laisser filer deux minutes inoubliables, indique au conducteur qu’il est temps de remettre les machines en branle. L’employé de la gare siffle. S’étant assuré que les portes sont fermées comme il se doit – un accident est si vite arrivé –, il agite son panneau vert et blanc. Le train repart. Laissant derrière lui Lamballe-les-Fauvettes, ses voies de garage et son indispensable parking à ciel ouvert, ses wagons à céréale en stand-by et ses papys, coiffés d’une casquette à carreaux, qui attendent sur les quais que le train soit hors de vue pour rentrer dans leurs pénates en pierre brune.

Le contrôleur repasse pour choper les nouveaux. Tous sont en règle. Que sa souche de contraventions dût rester dans sa petite sacoche en cuir ne semble pas le contrarier outre mesure.

Quand il revient, Louisette lui décoche un grand sourire. « Coucou ! » a-t-elle envie de chanter. « Je suis là ! » voudrait-elle hurler. Elle aimerait l’attraper par le bras, toucher le tissu de sa manche bleu marine, rire avec lui, lui poser des questions, de préférence indiscrètes. Mais le contrôleur aux lèvres si sensuelles ne s’en aperçoit pas. Il conserve sa mine affairée de type qui a des choses très importantes à accomplir. Des impératifs qui ne souffrent aucun retard. D’autant plus qu’on arrive bientôt à Montfort-sur-Meule. Que des passagers vont vouloir monter, s’asseoir. Qu’il va falloir contrôler de très près leur situation. Et cela, entendons-nous bien, est une tâche qui revient aux contrôleurs qui, comme leur grade l’indique, sont là pour contrôler. Pas pour flirter avec la clientèle. Qu’elle soit de Montfort-sur-Meule ou d’ailleurs…

Pour que chacun retrouve le sens des vraies valeurs, Louisette ne rêve plus que d’une chose : que le train déraille. Elle ne supporte pas que l’on snobe ses efforts d’être aimable. Diantre ! Ce n’est pas pour des prunes qu’elle s’est entraînée des heures durant, devant sa glace, dans le reflet des vitrines, seule ou en moins bonne compagnie, profitant de tous les terrains d’expérimentation possibles et inimaginables ! Qu’il aille donc au diable, ce contrôleur de malheur qui pue du cul, s’il n’a pas même le temps de regarder les jolies filles qui peuplent ses wagons !

Louisette se plonge dans Mariette & Clairette pour se changer les idées. Un article tout à fait passionnant sur les chaussettes et les collants retient son attention : des bas résilles enveloppent des jambettes magnifiques. Des genoux scintillent sous le satin. Des fesses parfaites et des collants se mettent réciproquement en valeur. Louisette rêve de porter des vêtements de femme qu’elle aura elle-même achetés, avec ses propres deniers.

Le long des talus, des oiseaux tentent de rivaliser avec le train express régional, mais ils ne font pas le poids bien longtemps, ces pauvres petits piafs, Passer domesticus, qu’une chiquenaude suffirait à assommer.

À l’heure prévue, le train arrive à son terminus.

« Rennes-la-Belle : terminus du train. Veuillez vérifier que vous n’avez rien oublié. On ne vous le répètera pas deux fois ! » Ça bouchonne à la sortie du wagon. Un appelé du contingent, dont les oreilles surgissent comme les anses d’une soupière, porte fièrement son barda boudiné. Une mère de famille, qui a l’impression d’avoir oublié quelque chose, recompte ses sacs et ses enfants. « Un, deux, trois, ils sont tous là, j’ai pourtant l’impression d’avoir oublié quelque chose d’important… » Ses trois gosses ont l’air crevés et elle-même semble avoir besoin d’un bon bain. « Mon Dieu, vous êtes tous là ! Alors on y va ! C’est bon ! » Louisette se demande bien où ils vont et les plaint d’avance, ces trois pauvres gosses qui suivent leur mère en se dandinant comme des canetons grégaires, Anas acuta. Quelle idée de passer ses vacances à Rennes-la-Belle ! La vieille dame aux mains baguées a du mal à descendre sa valise à roulettes – une valise presque plus grande qu’elle et dans laquelle, en se contorsionnant un tout petit peu, la vieille aurait pu se recroqueviller.

Au pied des escalators, ça se bouscule aussi. Poliment. Ceux qui sont pressés le font savoir. Ces gens n’ont pas une seconde à perdre. Ils viennent de traverser la Bretagne d’ouest en est en un temps record – à dos d’âne ils auraient mis deux ou trois semaines de plus pour parcourir le même trajet – et ne tiennent pas à gaspiller les précieuses minutes qu’ils ont l’illusion d’avoir grappillées. Si le temps vaut de l’or, encore et d’abord faut-il savoir comment l’utiliser (avec discernement s’entend) et parmi tous les gens qui sont là, qui se précipitent ou posent leur grosse valise boursouflée pour souffler, il n’est pas sûr qu’il y en ait beaucoup à le savoir mais tant pis, ils se ruent et font au plus vite, s’épuisant à feu plus ou moins vif.

Ils sont importants, ces premiers pas dans une ville que l’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Le sachant par expérience – elle n’en est plus à son premier déménagement –, Louisette veille à ce que tout se passe pour le mieux. Elle révise tous les rituels qu’elle a mis au point pour ne jamais être prise au dépourvu, toutes ces petites prières codifiées qu’elle murmure in petto pour se donner du courage et qui l’aident à rassembler ses énergies. S’il y avait eu moins de cohue et si elle n’avait pas eu peur de se salir la bouche, c’est sûrement avec plaisir qu’elle aurait embrassé le sol de dalles, blanches comme un linge papal.

Sur le quai no 7, une femme enveloppée dans un imper étriqué donne ses dernières recommandations. « Votre père et moi avons beaucoup réfléchi, Jean-Philibert. Le problème a été retourné en tout sens et nous avons finalement choisi ce qu’il y a de mieux, d’accord ? Le train part dans quinze minutes. Vous avez votre billet ? Il est composté ? C’est bien, mon chéri, vous verrez : vous serez très bien entouré. C’est une école militaire tout à fait remarquable d’où sont sortis les plus grands officiers du pays et où viennent s’entraîner les chefs d’État-major des gouvernements alliés. Embrassez-moi. Et surtout soyez studieux. Au revoir mon chéri. » Jamais Philibert n’a autant regretté de ne pas avoir dit, crié, hurlé qu’il voulait être photographe de mode. Que son rêve à lui, ce n’était pas de devenir lieutenant ou capitaine dans l’armée de terre.

« Moi, Jean-Philibert, sain de corps et d’esprit, j’aurais aimé photographier des naïades en monokini sur les plages de Majorque et des femmes le genou haut, assises sur les marches d’un palais de Jaisalmer au Rajasthan, enturbannées dans des étoffes laineuses. »


À suivre…

 

Dernière modification : 19/04/2017 19h47
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